Lettre ouverte publiée dans La Presse, le 12 mai 2025.
Depuis plus d’une décennie, des écarts alarmants sont documentés quant au retard de productivité qu’accuse le secteur manufacturier québécois. Selon des données de l’Institut du Québec publiées en octobre 2023, le Québec accuse un retard de productivité de 5,2 % par rapport à l’Ontario et de 100 % face aux États-Unis. Cette situation préoccupante est exacerbée par l’écart de valeur ajoutée et d’intensité technologique des produits fabriqués au Québec en comparaison de ceux fabriqués dans les économies avec lesquelles celui-ci se compare. Les rapports successifs d’experts n’ont cessé d’alerter sur cette vulnérabilité structurelle de notre économie. Ce déficit chronique, loin d’être une simple statistique, représente des milliards de dollars de richesse collective non générée chaque année.
Pour plusieurs raisons, ce retard persistant est resté longtemps sans conséquence. Cela s’explique avant tout par le maintien d’un taux de change favorable. Notre capacité à exporter malgré notre faible productivité a créé l’illusion d’un modèle viable. La proximité du marché américain et nos relations commerciales privilégiées ont également servi de coussin protecteur, retardant la prise de conscience collective.
Cette absence de conséquences immédiates a engendré une inertie dommageable, car l’investissement en technologies et en processus d’optimisation était perçu comme une dépense facultative plutôt qu’un impératif stratégique. Nos entreprises, dont plusieurs étaient confortées par des carnets de commandes remplis, n’ont pas ressenti l’urgence de transformer leurs opérations. La productivité est ainsi devenue le parent pauvre des priorités d’investissement, reléguée derrière l’expansion commerciale et la simple addition de capacité de production.
Les crises à répétition, qu’elles soient économiques, sanitaires ou environnementales, perturbent le statu quo. L’inflation, la hausse des taux d’intérêt, la perturbation des chaînes d’approvisionnement ou plus récemment le renfermement du marché américain dévoilent brutalement notre vulnérabilité. Chose certaine, la guerre commerciale récemment déclarée par les États-Unis est venue tout accélérer. Le choc est d’autant plus violent que nos concurrents investissent massivement dans l’automatisation et la numérisation. De plus, la pénurie de main-d’œuvre chronique agit désormais comme un multiplicateur de contraintes, rendant notre modèle historique intenable. Cette tempête parfaite exige une réponse immédiate et coordonnée.
Or, l’écart de productivité n’est pas une fatalité en soi, car il constitue une opportunité de transformation. Les méthodes d’optimisation des processus, l’automatisation avancée, l’avènement de l’industrie 5.0, ainsi que les technologies d’intelligence artificielle font de plus en plus leurs preuves au Québec, avec des gains probants de productivité réalisés. Les entreprises exemplaires démontrent qu’un investissement stratégique en productivité génère un retour rapide, tout en améliorant la qualité des emplois et en rehaussant les compétences des travailleurs québécois. Notre écosystème d’innovation possède déjà l’expertise et les outils nécessaires pour accompagner cette transformation à grande échelle.
C’est dans ce contexte que le secteur manufacturier du Québec agit. À l’aide de l’initiative « Impératif productivité », notre secteur a généré une mobilisation sans précédent qui réunit des acteurs industriels, des organisations de l’écosystème de soutien, le milieu des technologies ainsi que nos décideurs publics. Cette démarche nationale dépasse la sensibilisation en offrant un cadre d’action. Celui-ci implique une consultation nouveau genre auprès d’experts et d’entreprises, un rapport d’enquête, une mobilisation des entreprises, des gouvernements et de l’écosystème manufacturier à travers une tournée régionale, des panels de discussion et un dialogue avec les participants.
Le moment est venu de transformer notre perception collective de la productivité, non plus comme un indicateur abstrait, mais comme le levier essentiel de notre prospérité et de notre souveraineté économique dans un marché mondial en profonde mutation.
Impératif productivité
La mobilisation manufacturière par Talan
[Cosignataires]
Marc Belliveau (Talan), Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, Digihub, Louis Duhamel (LJD Conseils),