Rapports de recherche

Résilience commerciale : contre les risques mondiaux, l'achat local

Rédigé par Laure-Anna Bomal | 6 nov. 2025 15:17:16

 

Les vastes perturbations des affaires causées par la guerre commerciale entre les États-Unis et le Canada ont conduit certaines PME canadiennes à se retirer du marché américain. Ce virage témoigne plus globalement d’une perte de confiance : près de la moitié (46 %) des propriétaires de PME ne considèrent plus les États-Unis comme un partenaire commercial fiable .[i]

 

Selon Statistique Canada, les exportations canadiennes à destination des États-Unis ont diminué de 3,4 % en août 2025.[ii] Parallèlement, les importations en provenance des États-Unis ont reculé de 1,4 %. Au cours des 8 premiers mois de 2025, les exportations ont diminué de 3,3 % et les importations, de 0,5 %, par rapport à la même période en 2024. L’excédent commercial du Canada avec les États-Unis a aussi diminué, passant de 7,4 milliards de dollars en juillet à 6,4 milliards de dollars en août. 

 

Au-delà des États-Unis : vers quels marchés les PME canadiennes se tournent-elles?

La quasi-totalité (92 %) des propriétaires de PME estiment que le Canada devrait renforcer ses liens commerciaux avec des pays autres que la Chine et les États-Unis en réponse aux tensions commerciales croissantes.[iii] De plus, 50 % se sont tournés ou vont se tourner vers d’autres marchés pour remplacer, au moins dans une certaine mesure, leurs fournisseurs et leurs clients américains. Un tiers des PME canadiennes ont déjà cessé entièrement (5 %) ou partiellement (28 %) leurs activités avec les États-Unis en raison de la guerre commerciale (figure 1). D’autres PME sont en voie de cesser entièrement leurs activités (5 %) ou de les réduire partiellement (12 %). Enfin, 15 % n’ont pas encore pris de mesures, mais envisagent leurs options. Ces chiffres témoignent globalement d’une perte de confiance envers les États-Unis, qui ont longtemps été le partenaire commercial le plus fiable du Canada, et traduisent la volonté des PME canadiennes d’élargir leurs horizons pour bâtir des chaînes d’approvisionnement et des marchés plus stables et plus fiables.

 

Figure 1

Vous êtes-vous tourné vers des fournisseurs ou des clients hors des États-Unis comme solution de rechange?

Source : FCEI, sondage Impacts de la guerre commerciale Canada–États-Unis sur votre entreprise, du 8 août au 2 septembre 2025, résultats finaux, n = 2 673. 

 

C’est dans le commerce de détail (42 %) et le commerce de gros (35 %) qu’on trouve le plus de PME ayant entièrement ou partiellement réorienté leurs activités. Celles du secteur agricole sont deux fois plus susceptibles que la moyenne intersectorielle de planifier une réorientation totale (10 %) ou partielle (21 %).

 

« Avant, nous achetions du matériel et des matières premières des États-Unis. Nous nous approvisionnons maintenant ailleurs, même si les prix sont plus élevés. »

– Propriétaire d’entreprise, secteur du commerce de gros, Ontario

« Nous avons cessé d’importer et de vendre des produits américains. Nous épuisons nos stocks actuels et ne passerons pas de nouvelles commandes. Nous n’achèterons plus jamais aux États-Unis. »

– Propriétaire d’un commerce de détail, Nouvelle-Écosse

« Je crois que nous devons vraiment négocier avec les États-Unis oui, mais aussi avec d'autres pays afin de pouvoir rester dans la course et que nos entreprises aient un plan B, afin de maintenir notre économie. Nous ne devons pas mettre tous nos œufs dans le même panier. »

– Entrepreneur en construction, Québec

« On a tout simplement cessé d’acheter des produits américains. Trop insécurisant de ne pas connaître le prix ou d’avoir des prix trop élevés et que la marchandise cesse de se vendre. »

– Propriétaire d’un commerce de détail, Québec

 

Parmi les PME qui diversifient leur chaîne d’approvisionnement, deux tiers (67 %) optent pour des solutions canadiennes (figure 2). Plus d’un tiers (34 %) recherchent des fournisseurs et des marchés du côté de l’Union européenne, tandis que 21 % se tournent vers le Mexique. Ces résultats montrent que les PME canadiennes s’adaptent à l’incertitude géopolitique en rapatriant leurs activités et en comptant sur de nouveaux partenariats internationaux.

 

Figure 2

Vers quels marchés vous êtes-vous tourné pour remplacer vos fournisseurs/clients américains? 

Source :  FCEI, sondage Impacts de la guerre commerciale Canada–États-Unis sur votre entreprise, du 8 août au 2 septembre 2025, résultats finaux, n = 1 694. 

 

Les obstacles à la diversification mondiale

Toutefois, ces changements ne sont toutefois pas nécessairement viables ou possibles pour toutes les PME. En fait, 1 propriétaire d’entreprise sur 5 (19 %) n’envisage même pas d’essayer de remplacer ses fournisseurs et ses clients américains (figure 1). Parfois, le modèle d’entreprise s’articule autour d’une clientèle exclusivement américaine, d’une marque américaine ou d’un produit qu’on ne se trouve qu’aux États-Unis. De plus, l’économie américaine se situe au premier rang mondial : dans certains marchés très spécialisés (produits ou services très spécialisés ou à très faible volume), cibler un autre marché ou produire hors des États-Unis pourrait ne pas être viable en raison d’une faible demande. Des partenaires américains restent alors la seule option réaliste. De nombreuses PME entretiennent des relations de longue date avec les États-Unis, difficilement modifiables ou remplaçables après des années d’activités reposant sur la confiance mutuelle, la fiabilité contractuelle et une logistique intégrée. Enfin, la proximité géographique peut rendre les affaires aux États-Unis plus accessibles ou rentables qu’elles le seraient avec des clients ou des fournisseurs canadiens ou étrangers.

 

« Nous avons essayé de trouver des entreprises canadiennes pour remplacer une partie de nos fournisseurs américains. Mais le Canada ne fabrique tout simplement pas certains vêtements de danse et de sport, ou s’il existe un fabricant canadien, son offre est limitée et le coût de la main-d’œuvre est très élevé. Si on veut importer directement de la Chine, de l’Europe ou de l’Australie, par exemple, les quantités minimales et les frais d’expédition sont élevés, et il faut passer une première commande importante pour pouvoir ouvrir un compte. Pour un petit détaillant comme nous, c’est beaucoup d’étapes laborieuses et coûteuses juste pour garder nos portes ouvertes, alors que les choses allaient bien avec nos fournisseurs existants. »

– Propriétaire d’un commerce de détail, Ontario

« Presque tous les produits que nous vendons sont fabriqués uniquement aux États-Unis et au Mexique. Nous n’avons jamais pu nous approvisionner au Canada. Nous sommes dans le secteur de la serrurerie, nous installons des dispositifs de verrouillage. Nous ne pouvons pas commander du matériel de contrefaçon à l’étranger et mettre nos clients à risque. Nos prix suivent l’augmentation des coûts, et la facture est toujours transférée à l’utilisateur final. »

– Propriétaire d’une entreprise de services professionnels, Colombie-Britannique

« Nous avons arrêté d’importer des États-Unis le plus possible. Même si les frais d’expédition depuis l’Europe et l’Asie sont supérieurs et que la transition a pris un temps considérable, nous trouvons que c’est important. »

– Propriétaire d’une entreprise d’hébergement et de restauration, Alberta

 

Nos membres sont nombreux à soulever les frais d’expédition parmi les obstacles à la diversification des échanges. Certains pensent aussi que les conditions commerciales actuelles sont temporaires; ils se résignent à absorber à court terme les coûts liés aux droits de douane et n’envisagent pas de restructurer toute leur chaîne d’approvisionnement ni de développer de nouvelles relations commerciales. Bref, si certaines entreprises ont réussi à diversifier leurs marchés, beaucoup gardent des liens très étroits avec les chaînes d’approvisionnement américaines.

 

De nombreuses PME ne peuvent donc pas abandonner leurs fournisseurs ou clients établis dans l’immédiat, que ce soit à cause de contraintes d’approvisionnement, des pressions sur les coûts et du temps qu’il faut pour nouer de nouveaux partenariats et adapter les opérations internes. Pour la plupart des PME, la diversification des échanges commerciaux est un processus graduel et complexe. Les importateurs sont généralement capables de trouver de nouveaux fournisseurs plus rapidement que les exportateurs peuvent trouver de nouveaux marchés. Environ 26 % des importateurs estiment qu’il leur faudrait un peu plus de 6 mois pour changer de fournisseurs.[iv] La moitié des exportateurs (51 %) estiment qu’ils auraient besoin de beaucoup plus de temps pour stabiliser leurs activités. 

 

« Notre hôpital vétérinaire a un nombre très limité de sources d’approvisionnement possibles. La vaste majorité de nos articles courants, comme les vaccins, les produits contre les puces et les tiques et les produits alimentaires vétérinaires, proviennent des États-Unis. Les droits de douane nous obligeront à augmenter nos prix. Par conséquent, certains animaux ne recevront pas les soins dont ils ont besoin, car les gens ne peuvent simplement pas se permettre de payer des frais vétérinaires plus élevés. »

– Propriétaire d’une entreprise de services professionnels, Nouveau-Brunswick

« Nous achetons une grande partie de nos matériaux et de notre équipement aux États-Unis. Nous avons fait des efforts pour acheter des produits fabriqués au Canada, mais les prix des fournitures, de l’équipement, des véhicules, des remorques et des petits outils ont fortement augmenté depuis l’imposition des droits de douane. Malgré ces hausses, nous avons maintenu nos prix, ce qui a réduit nos marges bénéficiaires et laissé peu de place au réinvestissement dans de nouveaux équipements ou d’autres besoins de l’entreprise. Malheureusement, peu d’allégements sont offerts aux PME du secteur de la construction à l’heure actuelle. »

– Entrepreneur en construction, Ontario

« En réalité, 60 % de mes produits proviennent des États-Unis ou transitent par ce pays. Certains ne sont plus disponibles auprès de mes fournisseurs et certains produits de remplacement ne se vendent pas aussi bien. J’ai de la difficulté à trouver des produits fabriqués au Canada, surtout qui soient abordables. »

– Propriétaire d’un commerce de détail, Ontario

« Notre entreprise est très vulnérable aux tarifs douaniers. Nous achetons des blocs de granit aux États-Unis, les transformons, puis renvoyons les produits finis aux États-Unis. Si le Canada riposte par des tarifs, nous risquons d’être touchés des deux côtés de la frontière, ce qui nous rendrait automatiquement non compétitifs. En fait, 60 % de notre marché se trouve aux États-Unis, donc nous sommes très inquiets pour l’avenir. »

– Propriétaire d’une entreprise de fabrication, Québec

 

L’achat local : le volet canadien de la diversification

 

Beaucoup de propriétaires de PME font la promotion de l’achat local ou canadien dès qu’ils en ont l’occasion : 43 % encourageant activement leurs clients à choisir des produits fabriqués au pays.[v]  Ces efforts semblent se refléter dans les ventes des entreprises. En effet, 39 % des propriétaires d’entreprise font état d’une augmentation des ventes de produits de fabrication canadienne ou locale, 15 % constatent une hausse des ventes de produits fabriqués à l’étranger (ailleurs qu’aux États-Unis) et 40 % signalent une baisse des ventes de produits fabriqués aux États-Unis (figure 3). 

 

Figure 3

Depuis le début de la guerre commerciale, avez-vous observé des changements dans les domaines suivants? 

Source :  FCEI, sondage Votre voix – mai 2025, du 6 mai au 2 juin 2025. Premier sujet : n = 2 028; deuxième sujet : n = 2 026; troisième sujet : n = 2 020. 

Remarque :  Les répondants pouvaient sélectionner une réponse pour chaque ligne. 

 

« Comme tous les produits fabriqués aux États-Unis que nous importions étaient frappés par les tarifs douaniers, nous avons cessé d’acheter aux États-Unis. Il y a suffisamment de fabricants de meubles de qualité au Canada. Pour nous, acheter aux États-Unis, c’est terminé. »

– Propriétaire d’un commerce de détail, Colombie-Britannique

 « Je suis favorable aux contre-tarifs, mais le gouvernement fédéral doit trouver un moyen de garantir que les fonds perçus en raison de cette guerre commerciale reviennent aux PME durement touchées. Il y a des produits que je ne peux pas me procurer au Canada, mais ma PME demeure canadienne. Les entreprises locales doivent pouvoir rester en activité. »

– Propriétaire d’un commerce de détail, Colombie-Britannique

 

Même si certains propriétaires d’entreprises canadiennes ne peuvent pas se tourner entièrement vers des produits de fabrication canadienne ou locale, l’achat auprès d’entreprises locales reste indispensable à la vitalité des collectivités et des entreprises.

 

 À quel point est-il important de soutenir les entreprises d’ici? Une recherche menée par la FCEI montre qu’au Canada, pour chaque dollar dépensé chez un petit détaillant, 0,66 $ restent dans l’économie locale, contre 0,11 $ lorsque le même dollar est dépensé auprès d’une multinationale ayant un magasin physique au pays, et 0,08 $ quand il est dépensé auprès d’un géant de la vente en ligne.[vi]  Dans ce contexte de tensions commerciales et d’incertitude économique, acheter local et soutenir les PME canadiennes n’est pas seulement symbolique, c’est essentiel pour protéger les économies locales et préserver la résilience à de notre économie long terme. 

 

Conclusion et recommandations

Maintenant plus que jamais, le gouvernement fédéral doit soutenir les PME malmenées par la guerre commerciale en cours. Ce dernier perçoit des milliards de dollars de recettes douanières additionnelles sur les importations américaines, et une forte majorité de PME (82 %) juge que toute réinjection de cet argent dans l’économie devrait servir à soutenir les PME qui sont directement et indirectement touchées par les perturbations du commerce et les pressions sur les coûts. Voici nos recommandations :

 

  • Remettre les fonds perçus grâce aux contre-tarifs imposés par le Canada en priorité aux PME qui sont les plus durement touchées.
  • Supprimer les obstacles au commerce interprovincial, pour que les entreprises canadiennes puissent plus facilement diversifier leurs activités au pays.
  • Soutenir les entreprises qui peinent à se tourner vers d’autres marchés (information claire sur les règles d’origine, logistique, etc.).
  • Mieux faire connaître les services qui accompagnent les entreprises dans leurs démarches de diversification, comme ceux offerts par le Service des délégués commerciaux (SDC) et par Exportation et développement Canada (EDC).
  • Travailler avec l’Agence des services frontaliers du Canada pour offrir des exemptions ou d’autres possibilités pour les garanties financières – par exemple, permettre aux PME d’utiliser une carte de crédit aux fins du Programme de mainlevée avant paiement, ou exempter les importations de faible valeur et de faible volume.

 

[1] FCEI, Sondage sur la guerre commerciale entre les États-Unis et le Canada du 13 au 31 mars 2025, n = 3 398.

[2] Statistique Canada, Le Quotidien –Commerce international de marchandises du Canada, août 2025.

[3] FCEI, sondage Votre voix – avril 2025, du 10 au 24 avril 2025, n = 2 262.

[4] FCEI, sondage sur les impacts de la situation des tarifs douaniers américains et canadiens sur les entreprises, du 6 au 13 février 2025, n = 1 716 (importateurs), n = 524 (exportateurs).

[5] FCEI, sondage Votre voix – mai 2025 (mai à juin 2025), n = 2 090).

[6] Matchett T. et Boston E., Petite entreprise, grandes retombées : La contribution des petits détaillants à l’économie locale, FCEI, 2023.