
Les petites et moyennes entreprises (PME) du Canada continuent de faire face à des difficultés sur le marché du travail. Même si le taux de postes vacants a diminué, beaucoup de PME ont toujours du mal à trouver des travailleurs, surtout des candidats ayant les compétences, attentes et qualifications correspondant au poste à pourvoir. Et lorsque ces talents sont disponibles ailleurs au Canada, des contraintes réglementaires, comme les règles provinciales en matière de certifications et de permis, entravent la mobilité de la main-d’œuvre ainsi que l’accès des entreprises aux talents dont elles ont besoin. Si on ne s’y attaque pas, ces obstacles continueront de nuire aux entreprises, mais aussi à la productivité, au développement régional et à la compétitivité économique du Canada. La présente analyse porte sur les sources du problème et souligne les mesures stratégiques qui pourraient permettre d’accéder aux talents, de renforcer la main-d’œuvre et de favoriser la croissance à long terme.
Persistance des défis malgré l’évolution des conditions du marché du travail
Les pressions s’atténuent sur le marché du travail au Canada, alors que le taux de postes vacants est passé de 3,7 % en janvier 2024 à 2,9 % en février 2025[1]. Toutefois, derrière cette amélioration se cachent des défis structurels qui affectent les PME. Plus de la moitié (53 %) des propriétaires de PME continuent d’affirmer que les pénuries de main-d’œuvre sont un obstacle majeur à leur croissance[2],et 44 % signalent que la pénurie de main-d’œuvre qualifiée les empêche d’accroître leurs ventes ou leur production (figure 1). Cette tendance, qui se maintient depuis juillet 2020, demeure au-dessus de la moyenne historique et indique un problème persistant.
Figure 1
les pénuries de main-d’œuvre qualifiée limitent les ventes et la production, l’indicateur demeurant au-dessus de la moyenne historique depuis juillet 2020.
Source: FCEI, Baromètre des affairesMD, de janvier 2019 à avril 2025. Plus de détails à fcei.ca/baromètre. Question: Quels facteurs entravent votre capacité à augmenter les ventes ou la production? La figure ci-dessus représente les répondants qui ont sélectionné « Pénurie de main-d’œuvre qualifiée ».
On observe au cœur de cet enjeu un décalage persistent entre les besoins des entreprises et la main-d’œuvre disponible. Au total, 69 % des propriétaires de PME affirment que le manque de candidats qualifiés dans leur secteur est le principal obstacle au recrutement d’employés qualifiés (figure 2). Mais le problème va plus loin : près de 57 % des PME signalent un décalage entre les attentes des candidats (salaire et avantages) et ce qu’elles peuvent offrir.
Parallèlement, la moitié des propriétaires de PME disent qu’ils ne peuvent tout simplement pas offrir une rémunération globale équivalente à celle offerte par les grandes entreprises, probablement en raison de leurs capacités financières. Cette double contrainte (attentes vs capacités) place de nombreuses PME dans une impasse. Incapables de trouver les bons candidats, elles doivent se résoudre à embaucher des personnes moins qualifiées ou à laisser leurs postes vacants.
Figure 2
Le manque de candidats et le décalage entre les attentes des candidats et les réalités du poste font partie des principaux obstacles au recrutement d’employés qualifiés
Source: FCEI, sondage Votre Voix, mené en septembre 2024, n = 1 048.
Question: Quels problèmes avez-vous relevés concernant le recrutement d’employés qualifiés? (Sélectionner toutes les réponses pertinentes)
En plus de ces difficultés, 47 % des PME notent un décalage entre les compétences des candidats et les exigences du poste. Par ailleurs, 54 % disent avoir de la difficulté à attirer des candidats seulement, que ce soit en raison de l’emplacement, de la perception du secteur ou d’un manque de visibilité dans un contexte d’embauche concurrentiel. Ces problèmes soulignent l’écart qui se creuse dans le marché du travail au Canada. En effet, même lorsque des candidats peuvent et veulent travailler, beaucoup n’ont pas les capacités recherchées, ou ne sont pas au courant des possibilités d’emploi dans les petites entreprises, voire ne s’y intéressent pas.
Le problème des pénuries de main-d’œuvre a évolué. Si de nombreux secteurs continuent de faire face à un manque de candidats, le plus gros défi reste de trouver des candidats qualifiés dont les compétences et les attentes correspondent aux exigences du poste et aux contraintes des PME. Ces obstacles combinés (pénuries, décalage des compétences, limites de la rémunération, difficultés à attirer des candidats) nuisent non seulement à l’embauche, mais aussi à la croissance et à la productivité des entreprises.
Défis sectoriels et géographiques
Dans certains secteurs, il est encore plus difficile de trouver les bons candidats. Par exemple, les secteurs de la construction (77 %), des services personnels et divers (61 %) et des services sociaux (61 %) sont particulièrement vulnérables aux problèmes de recrutement, car ils dépendent fortement de l’expertise et des compétences spécialisées pour maintenir leurs activités (figure 3).
Un autre facteur qui accentue ces difficultés est l’emplacement géographique. Les PME des régions rurales ou des petits pôles économiques ont souvent plus de mal à attirer des travailleurs qualifiés (54 %) que celles des grandes villes (40 %). Accès limité à un bassin de travailleurs qualifiés, moins de possibilités d’avancement, manque de visibilité auprès des chercheurs d’emploi. Tous ces facteurs contribuent à creuser l’écart entre les PME des régions rurales et celles des régions urbaines, et freinent la croissance dans les régions qui en ont le plus besoin.
Figure 3
Plus de 60 % des PME des secteurs dépendant d’employés qualifiés ont du mal à recruter
Source: FCEI, sondage Votre Voix, mené du 5 au 23 septembre 2024, n = 572.
Question: Quels défis liés à la main-d’œuvre avez-vous rencontrés au cours des 6 derniers mois? La figure ci-dessus représente les répondants qui ont sélectionné « Recrutement d’employés qualifiés ».
Miser sur la mobilité de la main-d’œuvre pour combler les besoins
On pourrait recruter des travailleurs qualifiés qui sont disponibles dans d’autres provinces canadiennes, mais les discordances réglementaires d’une province et d’un territoire à l’autre continuent d’entraver la mobilité de la main-d’œuvre. La détention d’un permis dans une province ou un territoire ne donne pas automatiquement le droit de travailler dans une autre province ou un autre territoire. Dans de nombreuses professions, les travailleurs doivent obtenir la certification ou le permis de la province de destination, ce qui entraîne généralement des coûts supplémentaires, des délais d’attente, des examens et de la paperasserie.
Une coiffeuse Sceau rouge de Terre-Neuve-et-Labrador qui voudrait travailler au Nouveau-Brunswick, par exemple, devrait remplir une demande d’autorisation d’exercer hors de sa province, accompagnée de documents justificatifs, et payer des frais de 340 $. L’ensemble de la démarche pourrait prendre jusqu’à 30 jours (sans compter la formation additionnelle, les examens, etc.).[3]
Ces incohérences réduisent les possibilités d’emploi en entravant la mobilité de la main-d’œuvre, en plus d’empêcher les entreprises d’embaucher des travailleurs qualifiés dans une autre province canadienne afin de pourvoir des postes essentiels rapidement et ainsi améliorer leur productivité. Il n’est donc pas étonnant que 9 propriétaires d’entreprise sur 10 estiment que les licences ou les accréditations professionnelles obtenues dans une province ou un territoire devraient être automatiquement reconnues ailleurs au pays.[4]
Permettre aux professionnels accrédités de travailler plus librement d’un endroit à l’autre au pays donnerait aux entreprises un véritable accès à un bassin de talents national et déploierait les compétences là où elles sont le plus en demande.
S’attaquer à la qualité de la main-d’œuvre
Si la mobilité de la main-d’œuvre peut aider à atténuer les disparités régionales, la qualité de la main-d’œuvre demeure une préoccupation majeure. Seulement 17 % des entreprises trouvent leur main-d’œuvre « très bonne », tandis que 40 % la trouvent « correcte » ou « faible ». Les problèmes fréquemment relevés par les employeurs sont la faible productivité (69 %), le manque de motivation (66 %) et la faible capacité à résoudre des problèmes (64 %). Le déficit de ces compétences générales nuit à l’efficacité opérationnelle, même lorsque les postes sont pourvus.
Souvent, ces problématiques peuvent indiquer de plus grandes faiblesses dans le bassin de talents, comme un manque de formation pratique ou de préparation à l’emploi, ou encore un déséquilibre entre le niveau d’études et les besoins des employeurs. Cela se traduit par des employés qui répondent aux exigences du poste sur papier, mais pas dans la pratique.
Parallèlement, les données sur la productivité brossent un tableau inquiétant. Depuis le début de 2021, la productivité du travail au Canada stagne, alors que les coûts unitaires de main-d’œuvre sont en constante augmentation (figure 4). Ce sont les PME qui souffrent le plus de ce déséquilibre, car elles paient plus sans obtenir les résultats ou les gains d’efficacité correspondants.
Les efforts ciblés pour améliorer la qualité de la main-d’œuvre (incitatifs à la formation, meilleure intégration, renforcement des partenariats avec les établissements d’enseignement, etc.) offrent une voie claire pour améliorer le rendement des entreprises, stimuler la productivité et accroître la compétitivité économique du Canada.
Figure 4
Les coûts de main-d’œuvre augmentent plus vite que la productivité
Source: Calculs de l’auteur, Statistique Canada, Tableau 36-10-0206-01 – Indices de la productivité du travail, du coût unitaire de main-d’œuvre et des mesures connexes dans le secteur des entreprises, données désaisonnalisées.
Conclusion and Recommandations
Les PME canadiennes continuent de se heurter à des obstacles importants pour embaucher des travailleurs qualifiés et productifs. Réformer la mobilité de la main-d’œuvre constitue un moyen concret d’améliorer la répartition de la main-d’œuvre et d’atténuer les problèmes d’embauche. Toutefois, pour maximiser l’impact de la réforme, il faut la jumeler à des mesures plus importantes visant à relever la qualité de la main-d’œuvre. Les PME pourront alors prospérer et stimuler encore davantage la croissance économique du Canada. À cette fin, la FCEI recommande les mesures suivantes pour améliorer la mobilité et la qualité de la main-d’œuvre.
Mobilité de la main-d’œuvre
- Conclure des accords de reconnaissance mutuelle pour simplifier les processus d’accréditation et améliorer la mobilité de la main-d’œuvre au Canada.
- Permettre aux personnes exerçant des professions réglementées de travailler dans les limites de leur formation et de leur expérience pendant qu’elles font les démarches d’inscription/d’accréditation dans une nouvelle province ou un nouveau territoire.
- Travailler avec les associations et les ordres professionnels pour réduire ou éliminer les frais d’inscription interprovinciaux.
- Simplifier les processus d’inscription en fixant dans une loi un délai maximal pour l’approbation des accréditations professionnelles. En cas de dépassement, les entreprises devraient être compensées, par exemple en étant dispensées du paiement des droits d’inscription.
Qualité de la main-d’œuvre
- Accorder des subventions et des crédits d’impôt aux PME qui investissent dans la formation et le perfectionnement de leurs employés.
- Accorder des subventions salariales et des congés de cotisation à l’assurance-emploi aux PME qui embauchent et forment des nouveaux travailleurs ou des travailleurs sans expérience.
- Encourager les partenariats entre les PME et les établissements d’enseignement pour créer des programmes de stages et d’apprentissage en milieu de travail afin de combler les lacunes en matière de compétences
Notes de bas de page
[1] Statistique Canada. Tableau 14-10-0406-01 Postes vacants, employés salariés et taux de postes vacants selon le secteur de l'industrie, données mensuelles désaisonnalisées.
[2] FCEI, Baromètre des affairesMD, avril 2025. Question : Quels facteurs entravent votre capacité à augmenter les ventes ou la production? La figure ci-dessus représente les répondants qui ont sélectionné « Pénurie de main-d’œuvre qualifiée » et « Pénurie de main-d’œuvre non qualifiée » à partir d’une liste de choix.
[3] FCEI, Blocage à la frontière : impact de la paperasserie sur la mobilité de la main-d’œuvre, 2025.
[4] FCEI, sondage Votre Voix, mené du 8 au 26 septembre 2022, n = 3 679.

Alchad Alegbeh and Marvin Cruz, « Combler les besoins : s’attaquer aux enjeux de main-d’œuvre qui freinent les PME canadiennes », FCEI, Blogue Perspective PME, 10 juin 2025, https://www.cfib-fcei.ca/fr/rapports-de-recherche/combler-les-besoins-sattaquer-aux-enjeux-de-main-dœuvre-qui-freinent-les-pme-canadiennes.
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