Dotons-nous de règles cohérentes
Lettre ouverte publiée dans La Presse, le 16 septembre 2025.
Monsieur le Premier ministre,
Votre appel à assurer une plus grande efficacité de l’État et à se libérer de ce que vous qualifiez vous-même de « camisole de force » bureaucratique apparaît enfin comme une lumière au bout d’un long tunnel. Depuis deux ans, nos commerçants font face à une avalanche de nouvelles règles et obligations. Chacune part d’une bonne intention, mais leur accumulation les rend impossibles à mettre réellement en oeuvre pour des commerces de toutes tailles. Loin d’un allègement réglementaire, il s’agit d’une surrèglementation rarement vue dans notre histoire. Chaque ministère ajoute sa couche de normes, sans vision d’ensemble, comme si personne ne tenait le volant. Pourtant, ce sont les détaillants qui aident les citoyens à se nourrir, à se loger, à se vêtir, à se déplacer, à se cultiver. Le coût de chacun des produits affectés par ces règles se répercute sur toutes les familles québécoises.
Cette absence de cohérence crée incertitude et iniquités, en plus d’alourdir les coûts. Notre demande est simple : que nos commerçants puissent demeurer compétitifs et continuer à offrir aux Québécois le meilleur choix de produits et de services à un prix abordable.
À cela s’ajoutent une explosion des coûts et une adaptation permanente aux nouvelles règles. La réforme de la collecte sélective a fait bondir les factures de 100 à 500 %, sans réelle marge d’adaptation, alors qu’en parallèle la mise en place d’un nouveau système de consigne élargie, incluant des milliards de nouveaux contenants, est très complexe et entraîne une gestion logistique énorme pour les commerçants. Nous ne remettons pas en question la pertinence des objectifs environnementaux qui sont ainsi poursuivis, mais il faut reconnaître que ces obligations s’accumulent et exigent des ressources importantes, au moment même où d’autres règles continuent à évoluer.
Le vol et la fraude dans le secteur du détail atteignent par ailleurs des niveaux records, mais le Québec demeure la seule juridiction au pays où l’usage de certains outils technologiques pour contrer ces crimes est interdit, sauf à condition d’obtenir le consentement préalable d’un récidiviste pour utiliser son image… Cette situation frustre les commerçants et fragilise la protection des consommateurs honnêtes.
La protection du visage français du Québec est une valeur fondamentale que nous partageons. Mais le fardeau administratif qui découle des nouvelles règles linguistiques doit absolument être considéré.
Seulement pour l’affichage, les multiples validations exigées par les fonctionnaires, municipalités ou
bailleurs rendent les modifications complexes et onéreuses. Les interprétations varient selon les interlocuteurs et entraînent des coûts de conformité qui se chiffrent en millions de dollars pour certains. Ces nouvelles règles touchent aussi des produits courants –claviers d’ordinateur, instruments de musique, jeux de société, articles saisonniers –, qui sont désormais illégaux en magasin si certains mots ne sont pas traduits. Ces mêmes produits seront sûrement encore vendus en ligne sur des sites étrangers qui échappent à nos réglementations. Ainsi, la loi qui visait à protéger le français en fragilise paradoxalement l’usage au quotidien.
Par ailleurs, les nouvelles exigences sur l’affichage des prix des aliments sont d’une complexité exceptionnelle. Chaque erreur est passible de pénalités, et de nombreuses modifications ont été ajoutées par le gouvernement dans son interprétation de ces exigences, parfois à la toute dernière minute. Cela crée une pression énorme sur les entreprises et a des coûts importants, en plus de représenter un risque financier considérable pour des détails qui vont souvent bien au-delà de ce qui avait été discuté au départ.
Les règles sur la réparabilité représentent un défi colossal, voire sans précédent. Louables en théorie, celles-ci imposent des obligations quasi impossibles à mettre en oeuvre pour les détaillants. Dès octobre, pour chaque produit composé de plus d’une pièce – de la simple paire de ciseaux jusqu’aux produits les plus spécialisés –, un commerçant pourrait devoir fournir par écrit, à chaque client et pour chaque produit qu’il vend, la disponibilité de chacune des pièces qui compose le produit, indiquer si chacune de ces pièces est réparable ou non, préciser s’il possède ou non les informations sur l’entretien et garantir que ces pièces peuvent être réparées avec des « outils d’usage courant » définis par le gouvernement. Le fardeau administratif et financier d’une telle mesure est immense et menace directement l’abordabilité des produits pour les consommateurs ainsi que la compétitivité de nos entreprises.
Ces incohérences et cette surenchère de contraintes créent un terrain de jeu où les règles cessent d’être équitables : les détaillants d’ici respectent scrupuleusement les règles, alors que des plateformes étrangères y échappent. Pire encore, les décisions politiques reposent trop souvent sur des analyses économiques où les colonnes de données manquantes sont remplies de zéros, additionnés comme s’ils représentaient une réalité solide. Cela crée l’illusion d’un effet minime, alors que la conséquence réelle reste inconnue.
Ces exemples ne sont pas des cas isolés : ils forment un tout qui étouffe nos commerces. Les règles sont conçues en silo, publiées à la dernière minute et parfois contradictoires ou doublonnées. Dans un même dossier, il n’est pas rare de voir le fédéral, le provincial et les municipalités imposer chacun leurs propres obligations, lesquelles s’additionnent ou se neutralisent. À cela s’ajoute le contexte de crise commerciale avec les États-Unis, qui bouleverse nos chaînes d’approvisionnement et accentue l’incertitude pour les entreprises.
Monsieur le Premier ministre, nous, associations et regroupements de commerçants du Québec, ne réclamons pas l’absence de règles. Nous demandons cohérence, prévisibilité et équité. Nous demandons que cesse cette surrèglementation qui étrangle nos commerces, au moment même où les défis économiques et démographiques exigent souplesse et créativité. Nous demandons, tout simplement, que quelqu’un tienne enfin le volant.
Michel Rochette
Président
Conseil canadien du commerce de détail (CCCD)
François Vincent, Adm.A, ASC
Vice-président, Québec
Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI)
Pierre-Alexandre Blouin
Président-directeur général
Association des détaillants en alimentation du Québec
Véronique Proulx
Présidente-directrice générale
Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ)