La pénurie de main-d’œuvre, vraiment une bonne nouvelle ?

Publié par La Presse, le 23 mai 2022.

Monsieur le Premier ministre, cela fait plusieurs fois que je vous entends faire les louanges des avantages de la pénurie de main-d’œuvre. Le 6 mai dernier, vous êtes allé jusqu’à dire que c’était une « mosusse de bonne nouvelle pour le Québec ».

Certes, la pénurie de main-d’œuvre fait pression sur l’augmentation des salaires et offre des données sur l’emploi qui feraient rêver tout politicien. Cependant, cet enjeu entraîne son lot d’effets négatifs, tant pour les citoyens que pour les entreprises, les régions et notre économie.

La pénurie de main-d’œuvre fait augmenter les salaires. Toutes les entreprises revoient les salaires à la hausse parce qu’elles veulent attirer les candidats et, surtout, garder leurs employés. Selon notre indice du Baromètre des affaires, jamais les projections d’augmentation salariale des PME n’ont été aussi élevées.

Depuis le début de l’année 2022, chaque mois, nous battons de nouveau le record atteint le mois précédent. Je peux aussi vous confirmer que beaucoup de dirigeants de PME nous confient augmenter leurs salaires de 10 %, 15 %, voire de plus de 35 %. D’ailleurs, la société Randstad constate que les salaires de certains emplois ont augmenté de plus de 20 % entre 2019 et 2022.

S’il y a matière à vous réjouir, ce sera de courte durée, car les opportunités économiques qui s’envolent en raison du manque d’employés n’aideront pas les finances publiques à long terme, ni d’ailleurs la qualité, le prix des services et leur disponibilité pour les citoyens, ce dernier point étant une source d’inquiétude pour 86 % des Québécois, selon un sondage Léger1.

Alors que le poste budgétaire des salaires augmente, les autres coûts font aussi pression sur les entreprises. C’est un problème criant. D’ailleurs, 60 % des PME indiquent qu’il nuit considérablement à leurs affaires.

Les entreprises veulent accroître leur productivité et prendre le virage de l’automatisation. Mais, lorsque les coûts s’envolent tous azimuts, il y a une limite pour que les PME puissent trouver des sommes à investir, surtout quand elles doivent se serrer la ceinture après deux ans de pandémie qui les ont endettées et laissées avec de grandes difficultés de rentabilité.

Notre économie québécoise est composée de petites entreprises : sept sur dix ont moins de dix employés et la moitié d’entre elles comptent moins de cinq employés. Pour ces dernières, il est plus difficile d’amortir les fortes augmentations de coûts et de pallier facilement la perte d’un seul travailleur.

En fait, la première conséquence du manque d’employés sur les PME est l’augmentation des heures de travail de leurs dirigeants. Cela concerne 63 % des PME du Québec. Cette surcharge de travail ne touche pas seulement les entrepreneurs.

La deuxième conséquence est une augmentation des heures de certains employés dans 45 % des cas. Une course, comme un marathon, a un début et une fin. Avec la pénurie de main-d’œuvre, le fil d’arrivée de la course dans laquelle se trouvent les entrepreneurs et leurs employés ne fait que s’allonger, et le dénivelé est de plus en plus important.

Tous les jours, de nombreux entrepreneurs doivent prendre des décisions difficiles et contre-intuitives. Citons, par exemple, cette entreprise de transport du Bas-Saint-Laurent qui doit vendre six camions par manque d’employés ou encore ce petit cabinet de comptables de l’Outaouais qui a perdu 100 000 $ de revenus par manque de candidats dans la région.

Ce sont 39 % des PME qui doivent prendre la décision difficile de dire non à des opportunités économiques. Ces pertes de contrats ne sont favorables ni à leur rétablissement, ni à leur prospérité, ni à la force du tissu économique des régions du Québec.

De plus, qu’en est-il de l’impact qu’aura l’inflation des salaires causée par la pénurie de main-d’œuvre sur le décrochage scolaire ? Des emplois sont disponibles par centaines de milliers. Un jeune pourrait être tenté d’entrer tout de suite sur le marché du travail à temps plein sans terminer ses études. Si cela doit arriver, ce ne sera pas une bonne nouvelle pour le Québec.

Par ailleurs, jamais les données de l’emploi n’ont été aussi favorables à une intégration en emploi réussie pour les nouveaux arrivants. Voyons donc l’augmentation de l’immigration de manière positive et comme un moyen de contribuer à la richesse collective de notre nation.

Pour réduire véritablement l’écart de richesse avec notre voisin, l’Ontario, nous avons besoin de PME fortes, de régions économiques diversifiées, d’entrepreneurs et d’employés en santé, sans compter qu’il nous faut améliorer le niveau de diplomation et intégrer de nouveaux talents.

Au Québec, la pénurie de main-d’œuvre engendre de nombreux effets négatifs qui dépassent largement les effets positifs.

Il faut traiter de front cet enjeu de société de manière à inclure et à mobiliser toutes les forces vives du Québec – entrepreneurs, travailleurs et décideurs politiques – afin d’en tirer un avantage pour tous à court, moyen et long termes. Surtout, il faut éviter de s’embarquer dans une voie qui pourrait diviser et affaiblir notre potentiel économique et collectif.

François Vincent
Vice-président pour le Québec de la FCEI