Sur les «traces électroniques» de l’employé ou la surveillance effectuée par l’employeur

Avec les avancées de la technologie, on assiste à une prolifération des moyens de surveillance électronique qui sont à la disposition des employeurs.

D’une part, la surveillance électronique des employés fait partie des droits de la direction, lesquels doivent être exercés d’une façon qui n’est ni abusive, ni arbitraire, ni discriminatoire. D’autre part, elle met en cause les droits fondamentaux de l’employé que sont le droit à la vie privée, prévu à l’article 5 de la

 

 

 

 

 et celui à des conditions de travail justes et raisonnables, énoncé à l’article 46 de la charte.

Les caméras
Selon la jurisprudence, l'employeur ne peut effectuer une surveillance électronique continue à l'égard de personnes accomplissant leur prestation de travailI ni installer des caméras de surveillance qui sont constamment braquées sur des salariés et qui épient systématiquement leurs faits et gestesII.

Une caméra de surveillance à objectif fixe qui filme les sorties et les entrées de véhicules et de personnes et dont le champ de vision ne permet pas de surveiller en permanence les salariés à leur poste de travailIII sera par ailleurs permise.

La jurisprudence permet la surveillance par caméra si celle-ci est fondée sur des motifs réels et sérieux, s'il est probable qu'elle permette de régler ou d'élucider un problème, si aucun autre moyen d'enquête efficace ne permet de le faire et si elle porte atteinte aussi peu que possible au droit du salarié de ne pas être constamment épié.

Un employeur aura un motif réel et sérieux d'entreprendre une telle surveillance s'il a une crainte légitime et fondée sur des faits objectifs qu'un salarié ne contrevienne à l'une des obligations fondamentales découlant de son contrat de travail, soit celles de prudence, de diligence et de loyautéIV.

La volonté de protéger ses biens du vol ou du vandalisme a été considérée comme un motif réel et sérieux si l’employeur est capable de démontrer qu’un tel problème existe au sein de l’entrepriseV. Un motif sérieux d’effectuer une telle surveillance peut également découler d’un contexte de plaintes récurrentes de vol de temps et lorsque l’employeur n’obtient pas de résultats concluants à la suite d’une surveillance «traditionnelle» effectuée sporadiquementVI.

L’utilisation de caméras peut être justifiée également pour des motifs de sécurité. À cet égard, leur installation dans les autobus scolairesVII, dans l’habitacle de camions de transport de matières dangereuses afin d’améliorer la conduite de tels véhiculesVIII et près de chaînes de production dans l’entreprise alimentaireIX ainsi que la présence de caméras extérieures qui captent quelques tâches brèves ou les allées et venues des employés dans le stationnement d’une entreprise fédérale de transportX ont été considérées comme raisonnables.

Par contre, l'installation d'une caméra dans la chambre d'une résidente d'un CHSLD par le fils de cette dernière a constitué une violation du droit des salariés à des conditions de travail justesXI.

Enfin, les caméras ou systèmes de surveillance ne doivent pas avoir pour objectif premier de permettre à l’employeur d’imposer des mesures disciplinaires ni de contrôler le rendement ou la productivité des employésXII.

Le système de géolocalisation GPS
L’utilisation des fonctions de localisation GPS et d'écoute à distance installées dans les radios portatives dont étaient munis les salariés d'une raffinerie de pétrole et qui sont destinées à être activées en cas d'urgence pouvait porter atteinte à la vie privée de ceux-ci; toutefois, de telles fonctions étaient justifiées par un motif valable et important, soit la sécurité, et constituaient des moyens raisonnables et peu intrusifsXIII pour atteindre la finalité recherchée.

Le courriel et le contenu de l’ordinateur
Dans le contexte de la recevabilité d’une preuve pénale obtenue à l’occasion de la fouille d’un ordinateur effectuée sans mandat par les policiers, la Cour suprême, dans R. c. Cole, a souligné que les Canadiens peuvent raisonnablement s'attendre à la protection de leur vie privée à l'égard des renseignements contenus dans les ordinateurs fournis par l’employeur pour l’exécution de leur travail même si cette attente raisonnable peut être réduite dans le milieu de travail.

Aux employeurs qui prétendent que les salariés ne peuvent s’attendre à aucune protection de leur droit à la vie privée étant donné que ce sont eux qui ont la propriété de l’équipement fourni, la Cour suprême précise que la propriété d'un bien est une considération pertinente, mais elle n'est pas déterminante.

Quant aux politiques de l’employeur qui pourraient interdire ou baliser une utilisation personnelle de l’ordinateur qu’il fournit, ces dernières ne sont pas décisives non plus. Quoi que prescrivent ces dernières, il faut examiner l'ensemble des circonstances afin de déterminer si le respect du droit à la vie privée constitue une attente raisonnabledans ce contexte particulier.

À ce sujet, la Commission des relations du travail, Division des relations du travail, a mentionné dans Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec et Québec (Gouvernement du) (Direction des relations professionnelles, Conseil du Trésor), (C.R.T., 2015-09-08), que «le concept du droit de propriété invoqué par le gouvernement [l’employeur] n’était pas le critère à privilégier. Ce n'est pas l'utilisation des biens informatiques de l'employeur qui devrait être en cause, mais le caractère raisonnable de l'usage qui en est fait. Une certaine utilisation personnelle serait permise. À noter que cette décision fait l’objet d’une demande de révision judiciaire.

Quant à une communication par courriel, l'employeur, l’Université Laval, a exercé ses droits de direction de façon abusive et a porté atteinte au droit à la vie privée en interceptant sans motif raisonnable le courriel envoyé par une salariée à son syndicat, contrevenant ainsi à sa propre politique en matière d'utilisation du courrielXIV. Le décideur s’appuie sur les mêmes principes soulignés par la Cour d’appel dans Ste-Marie c. Placements JPM Marquis inc. et dans Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Quebec) Inc. qui mettaient en cause l’interception d’une conversation téléphonique. Dans Marquis, la conversation interceptée avait eu lieu sur les lieux du travail, pendant les heures de travail. La Cour avait appliqué, encore une fois, le critère de l’existence chez l’employé des expectatives légitimes de vie privée, qui sont forcément moins élevées au travail. Selon la Cour, en pareil cas, le contenu de la conversation peut être pertinent quant à la détermination de l'existence ou non d’une violation de la vie privée.

Par ailleurs, une disposition d’une politique qui prévoit que l’employeur peut surveiller l'usage qui est fait de ses biens en tout temps, y compris la surveillance des réseaux informatiques et de télécommunications ainsi que des données et communications qui y transitent, a été déclarée valide. En effet, l'expression «en tout temps» signifie à «tout moment» et non de façon continuelle, et ce, selon les règles établies par la jurisprudence : la surveillance doit respecter le droit à la vie privée et à la dignité de chaque employé et être exercée de bonne foi et de manière raisonnable. L'employeur doit être en mesure de démontrer qu'il a des motifs sérieux pour l'exercer. Le décideur a analysé le même critère des attentes raisonnables de l’employé à la protection de son droit à la vie privéeXV.

Dans un cas où un salarié avait reçu plusieurs avis au sujet de son non-respect des règlements d’entreprise relatifs à l’utilisation des équipements informatiques de l’employeur et pour lequel il avait été sanctionné, il n’a pas été considéré comme illégal ni abusif de la part de celui-ci de vérifier le contenu d'un courriel afin de s'assurer que le salarié se conformait aux exigences de l’employeurXVI.

L’utilisation des données recueillies et la recevabilité de la preuve
Le recours de l’employeur aux données recueillies, qu’elles l’aient été par les caméras de surveillance, le système de géolocalisation GPS, le courriel ou les historiques de navigation Internet, est généralement accepté par la jurisprudence afin de vérifier si l’employé respecte ses obligations fondamentales du contrat de travail. De façon générale, il s’agit d’une preuve jugée recevable par les décideurs en matière civile, qui appliquent les articles 2857 et 2858 du Code civil du Québec, à moins que son utilisation n'ait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.

Dans un litige concernant l’imposition de mesures disciplinaires, de telles données pourront servir à constituer la preuve à faire.

Avant de suivre les «traces électroniques» des employés, la consultation d’un conseiller juridique par l’employeur s’avère un moyen judicieux afin d’évaluer les limites de ses droits à l’égard d’une telle surveillance. D’une part, il y a le droit de l’employeur de se prémunir contre le vol, le vol de temps et les risques d’atteinte à la sécurité et, d’autre part, les droits fondamentaux de la personne exigent le respect du droit à la vie privée et du droit à des conditions de travail justes et raisonnables.

Par Me France Rivard, conseillère juridique, SOQUIJ

Références

Le texte intégral et le résumé de toutes ces décisions sont disponibles dans Recherche juridique.

I : Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 7885 et Fabrimet inc. (T.A., 2010-10-17).

II : Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 et Montréal (Ville de) (arrondissement Côte-St-Luc—Hampstead—Montréal-Ouest), (T.A., 2005-04-14); Syndicat démocratique des employés de garage Saguenay—Lac-St-Jean (CSD) et 9034-4227 Québec inc. (St-Félicien Toyota), (T.A., 2013-03-21); et Glopak inc. et Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 7625 (T.A., 2000-08-18).

III : Syndicat démocratique des employés de garage du Saguenay—Lac-St-Jean (CSD) et Kia Harold Auto, (T.A., 2014-01-17); voir aussi : Aliments Multibar inc. et Unifor, section locale 698 (T.A., 2015-12-21).

IV : Hydro-Québec et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1500 (T.A., 2015-01-29).

V : Aliments Multibar inc. et Unifor, section locale 698 (T.A., 2015-12-21); voir aussi Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada) et Cummins Est du Canada (T.A., 2007-06-15); et Glopak inc. et Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 7625 (T.A., 2000-08-18).

VI : Unifor Québec et Moulage sous pression AMT inc. (T.A., 2015-04-10).

VII : Syndicat du transport scolaire de la Mauricie-CSN et Autobus La Mauricie inc. (T.A., 2015-01-26).

VIII : Teamsters Québec, section locale 106 et Linde Canada ltée (T.A., 2014-10-24)

IV : Syndicat des travailleuses et travailleurs de Charcuterie Roy (CSN) et Aliments de consommation Maple Leaf inc.(T.A., 2012-01-06)

X : Société de transport de l'Outaouais et Syndicat uni du transport, unité 591 (T.A., 2011-08-12)

XI : Vigi Santé ltée c. Barrette (C.S., 2015-08-03); requête pour permission d’appeler accueillie (C.A., 2015-12-07)

XII : Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada) et Cummins Est du Canada (T.A., 2007-06-15)

XIII : Travailleurs québécois de la pétrochimie, section locale 194, SCEP et Énergie Valero/Raffinerie Jean-Gaulin de Lévis (T.A., 2014-02-13)

XIV : Université Laval et Association du personnel administratif professionnel de l'Université Laval (APAPUL), (T.A., 2011-02-03)

XV : Journal de Montréal et Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal (CSN), (T.A., 2015-01-06)

XVI : Alliance de la fonction publique du Canada et Musée des beaux-arts du Canada (T.A., 2002-11-05)