Pour les petites entreprises canadiennes, le plus grand risque à l'heure actuelle n'est pas la concurrence, mais plutôt une économie au point mort. La croissance s’est essoufflée, le PIB a légèrement reculé au deuxième trimestre de 2025 et certaines prévisions[1] annoncent un nouveau repli au troisième, laissant les entrepreneurs face à une économie sans élan et sans trajectoire claire. Dans un contexte d'incertitude mondiale et de défis nationaux, la voie à suivre pour le Canada consiste à investir dans son avenir par le développement des infrastructures et par des politiques favorisant la croissance du secteur privé.
Sans cela, le ralentissement persistant de l'économie et la faible productivité continueront de freiner la croissance, décourageant les investissements privés et pesant sur la confiance des petites entreprises. La situation tarifaire avec le plus grand partenaire commercial du Canada, les États-Unis, décourage les échanges transfrontaliers et retarde les décisions d'investissement. Pour les petites entreprises qui dépendent des chaînes d'approvisionnement intégrées en Amérique du Nord, le manque de clarté et l'évolution constante des règles commerciales ajoutent un risque supplémentaire à une économie déjà fragile.
Les petites entreprises, qui constituent le cœur de l'économie canadienne, en ressentent les effets. La confiance des petites entreprises est restée fragile en juillet 2025, l'indice à long terme du Baromètre des affaires® de la FCEI s'établissant à 50,9, bien en dessous du niveau entre 65 à 70, une échelle généralement associée à une économie fonctionnant à son plein potentiel. Près de six petites entreprises sur dix ont identifié l'insuffisance de la demande comme leur principale contrainte, reflétant la faiblesse des conditions du marché. Cette confiance modérée se traduit par une réduction de l'activité financière : le rapport Perspectives trimestrielles des PME de la FCEI révèle que l’investissement privé s’est contracté de 3,1 % au premier trimestre 2025, et que des baisses supplémentaires de 13,0 % et 6,9 % sont prévues respectivement au deuxième et au troisième trimestre.
Sans une amélioration de la productivité et un renouvellement de l'investissement, l'économie canadienne continuera de stagner. Dans ce contexte, les politiques d'investissement dans les infrastructures apparaissent comme des leviers stratégiques pour soutenir l'économie, stimuler la connectivité régionale et renforcer les échanges commerciaux intérieurs. Une question demeure : les gouvernements pourront-ils approuver les projets assez rapidement tout en tenant compte des petites entreprises ?
Des autorisations plus rapides pourraient stimuler la croissance, si les promesses se concrétisent
Pour répondre aux défis actuels du Canada, le gouvernement fédéral a présenté en juin 2025 la Loi sur l’unité de l’économie canadienne. Mieux connue sous le nom de projet de loi C-5, elle fusionne deux éléments législatifs majeurs : la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d'œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada. Cette dernière vise à accélérer les autorisations en créant une nouvelle voie rapide pour les projets jugés « d'intérêt national ». Son objectif est clair : raccourcir les délais et rationaliser les examens.
Pourtant, beaucoup restent prudents. Certaines parties prenantes se demandent si ce cadre permettra réellement de réduire les retards ou s'il ne fera que les transférer vers des étapes antérieures, tandis que d'autres craignent que la complexité accrue pourrait décourager les investissements.
Pour les petites entreprises, la promesse d’accélérer les d'approbations est prometteuse, mais il reste à voir si cette promesse se traduira par des améliorations concrètes sur le terrain.
Le sondage omnibus mené en juillet 2025 par la FCEI auprès de plus de 1 900 propriétaires d'entreprises montre à quel point l'accélération des autorisations est importante : 9 propriétaires d'entreprises sur 10 estiment qu'une réduction des délais d’approbation pour les projets d’infrastructure contribuerait à la croissance économique. Une proportion tout aussi importante (90 %) convient que des processus plus rapides et plus clairs leur permettraient de mieux anticiper les opportunités potentielles.
Réduire les barrières commerciales internes : construire une économie unie
Au-delà d'une accélération des autorisations, les petites entreprises voient également un intérêt à éliminer les barrières commerciales intérieures grâce à des infrastructures plus solides. Trois quarts des petites entreprises affirment que l'accélération des projets d'infrastructure améliorerait l'accès aux transports et à la chaîne d'approvisionnement, ce qui permettrait de régler ce que beaucoup considèrent comme l'un des obstacles les plus persistants au commerce intérieur.
Figure 1: La plupart des petites entreprises affirment que la rationalisation des projets d'infrastructure améliorerait la logistique
L’accélération des projets d’infrastructure améliorera l’accès aux voies de transport et à la chaîne d’approvisionnement pour notre PME (%)
Source : FCEI, Sondage Votre voix – juillet 2025, du 10 au 24 juillet 2025, résultats finaux, n = 1 920.
Question : Dans quelle mesure êtes-vous d'accord ou pas d’accord avec les énoncés suivants ? (Sélectionnez une réponse)
Ceci s'appuie sur des conclusions antérieures. Dans le sondage omnibus réalisé par la FCEI en avril 2025, [2] les défis liés au transport et à la logistique se classaient au deuxième rang des obstacles à l'achat ou à la vente de biens et de services au-delà des frontières provinciales ou territoriales. Près des deux tiers (65 %)[3] des petites et moyennes entreprises (PME) ont déclaré que l'amélioration ou l'expansion des infrastructures (routes, ponts, chemins de fer et ports) serait un moyen pratique et efficace de réduire les obstacles au commerce intérieur et au transport de marchandises.
Associée à des réformes réglementaires et aux progrès récents visant à éliminer les obstacles au commerce intérieur afin d'améliorer la circulation des biens, des services et de la main-d'œuvre, la politique en matière d'infrastructures devient un outil permettant de construire une économie canadienne unifiée. Des investissements stratégiques dans les infrastructures pourraient réduire les coûts de transport, raccourcir les délais de livraison et ouvrir de nouveaux marchés domestiques.
« Si tous les niveaux de gouvernement souhaitaient revoir les projets d'infrastructure nationaux, ils devraient se tourner vers le train à grande vitesse pour le transport commercial et régulier [...]. Nous sommes une petite entreprise en Colombie-Britannique et, à nous seuls, nous expédions 200 palettes par mois à Kamloops. En Italie, les marchandises sont transportées dans des wagons voyageurs à grande vitesse à l'avant du train. »
- Entreprise de Colombie-Britannique
Optimisme modéré : préoccupations concernant l'inclusion et les mesures de protection
Cet optimisme est toutefois tempéré par certaines préoccupations : 89 % des répondants affirment que les intérêts des petites entreprises sont souvent sous-représentés ou exclus de la planification et de l'exécution des grands projets. Sans une inclusion délibérée et précoce, les avantages des investissements nationaux dans les infrastructures risquent de passer à côté des entreprises les mieux placées pour y contribuer.
Au-delà de l'inclusion, les PME reconnaissent que les mesures de protection de l'environnement font partie du compromis : près des deux tiers d'entre elles craignent que les considérations environnementales ne soient moins prises en compte dans le cadre d'un régime accéléré. Comme l'a déclaré une entreprise de services professionnels de l'Ontario, le gouvernement doit être « complètement transparent avec le public [...] sur tout projet de développement ayant des répercussions environnementales sur les infrastructures ».
Dans l'ensemble, ces résultats montrent que si les petites entreprises considèrent que l'accélération des procédures d'approbation et le renforcement des infrastructures sont essentiels pour stimuler la croissance et réduire les barrières commerciales, elles restent préoccupées par le risque d'être exclues du processus de consultation et par la conciliation entre la rapidité et les mesures de protection.
Pourquoi les petites entreprises se soucient-elles de la manière dont les projets sont réalisés ?
Approvisionnement : conserver les retombées locales
Les grands projets d'infrastructure ne se limitent pas aux grues et au béton : ils représentent également des milliards de dollars en contrats pour des biens, des services et des matériaux. Si les politiques d'approvisionnement n'incluent pas délibérément les petites entreprises, les entreprises locales risquent d'être exclues des opportunités dans leurs propres communautés. La FCEI encourage depuis longtemps les gouvernements à faire de l'approvisionnement canadien une priorité, afin de garantir que les PME puissent soumissionner (et remporter) ces contrats. Dans notre sondage omnibus d'avril, 76 % des propriétaires d'entreprise ont déclaré que prioriser l’approvisionnement gouvernemental auprès d’entreprises canadiennes aiderait à relever les défis du commerce intérieur. Lorsque les entreprises locales sont prises en considération, les retombées économiques restent dans la communauté, les chaînes d'approvisionnement nationales sont renforcées et la dépendance à l'égard des fournisseurs étrangers est réduite.
Pour de nombreuses petites entreprises, l'accès aux marchés publics est le pont entre le changement de politique et l'impact économique réel. La plupart d'entre elles affirment que la rationalisation des projets stimulerait leurs collectivités et améliorerait la logistique, 87 % d'entre elles étant d’accord que des approbations plus rapides aideraient leur collectivité à se développer et à attirer davantage d'activité économique. Si elle est bien menée, l'accélération des projets nationaux prévue par le projet de loi C-5 pourrait se traduire par des gains locaux tangibles, non seulement dans les contrats immédiats attribués. Et ce, également dans les réseaux économiques à long terme qu'elle contribue à créer.
Gérer la construction : l'importance des mesures d'atténuation
Bien que les nouvelles infrastructures puissent générer des gains économiques à long terme, la période de construction peut être dévastatrice pour les entreprises situées à proximité, en particulier dans les secteurs du commerce de détail, de l'hôtellerie et de la restauration, ainsi que pour les entreprises situées autour des chantiers. Selon une étude de la FCEI couvrant les cinq dernières années, plus de 260 000 petites entreprises ont été gravement touchées par des travaux de construction importants, avec des perturbations durant en moyenne 508 jours et une baisse de 22 % de leurs revenus pendant cette période.
Les stratégies d'atténuation, telles que l'indemnisation financière directe, le maintien de l'accès des clients, l'octroi d'allégements fiscaux temporaires et l'amélioration de la communication autour des projets, devraient être la norme pour tous les gouvernements qui financent ou approuvent des projets d'envergure. Sans elles, le soutien du public à l'accélération des travaux d'infrastructure pourrait s'éroder.
Le blocage des permis et licences locaux
Les gouvernements fédéral et provinciaux ont commencé à prendre des mesures concrètes pour réduire la paperasserie, notamment par le biais de réformes du commerce intérieur, de la reconnaissance mutuelle et d'examens réglementaires plus larges. Toutefois à moins que les municipalités ne modernisent leurs systèmes d'octroi de permis et de licences, une grande partie de ces progrès ne se concrétisera pas. L'octroi de permis et de licences locaux reste l'un des principaux obstacles à la croissance, en particulier pour les projets immobiliers résidentiels et à usage mixte qui favorisent la disponibilité de main-d'œuvre à proximité des grands projets. Comme le dit un grossiste de l'Ontario :
« Nous avons besoin que les villes et les provinces travaillent ensemble pour réduire les formalités administratives dans le domaine de la construction résidentielle. On entend beaucoup parler des grands projets d'infrastructure, mais pas assez des mesures concrètes prises pour réduire les formalités administratives dans le domaine des projets résidentiels. Les municipalités devraient faire davantage pour favoriser la densification et promouvoir la construction d'appartements en sous-sol, de logements dans les ruelles, de micro-logements, les rénovations et les nouvelles constructions. »
Des données récentes soulignent encore davantage l'urgence de la situation. Selon les conclusions de la Banque mondiale, le Canada se classe parmi les derniers (64e sur 187 pays) en termes de facilité d'obtention des permis de construction, ce qui le place dans les 20 % les moins performants au niveau mondial. R-LABS, un laboratoire canadien spécialisé dans l'immobilier et l'innovation, montre en outre que les retards dans l'approbation des plans d'aménagement sont un facteur majeur qui pénalise les performances. Par exemple, pour un simple entrepôt à Toronto, l'approbation peut prendre jusqu'à 249 jours, contre seulement 41 jours à Singapour et 81 jours aux États-Unis.
Il existe des modèles prometteurs, mais l'alignement des réformes municipales en matière de permis avec l'accélération des infrastructures fédérales multiplierait les avantages économiques, en garantissant que les logements sociaux, les espaces commerciaux et les infrastructures de services soient prêts lorsque les projets nationaux seront mis en œuvre.
La voie à suivre
La FCEI invite le gouvernement à :
- Tenir compte des répercussions sur les PME – en veillant à ce que les petites entreprises aient leur mot à dire dans la planification des projets et la modification des règles sur le commerce intérieur.
- Adopter des normes d'atténuation des effets sur la construction – en protégeant les économies locales pendant la construction.
- Mettre à jour les permis et licences municipaux – en alignant l'accélération fédérale des projets avec une meilleure collaboration locale.
- Intégrer la stratégie en matière d'infrastructures et de commerce – en planifiant les investissements dans les routes, les ports et les corridors afin de réduire directement les obstacles liés au transport.
En cette période d’incertitude économique, le Canada ne peut pas se permettre de laisser traîner les projets d’infrastructure essentiels ni de voir stagner les réformes du commerce intérieur. Allier une construction plus rapide à un commerce plus libre offre un double avantage : des chaînes d’approvisionnement plus solides et un marché intérieur plus intégré.
Le projet de loi C-5 est un bon point de départ, mais seulement si tous les ordres de gouvernement travaillent ensemble pour protéger les entreprises existantes pendant la construction et veillent à ce que les réformes réglementaires apportent des avantages concrets aux PME. Le succès ne se mesurera pas à la rapidité d’approbation des projets, mais plutôt à leur capacité de mieux relier les Canadiens, leurs entreprises, leurs collectivités, leurs marchés et les occasions qui s’offrent à eux.
Notes de fin:
[1] Les prévisions des Perspectives trimestrielles ont été publiées le 24 juillet 2025.
[2] Source: FCEI, Sondage Votre Voix - Avril 2025, du 10 au 24 avril, 2025, résultats finaux, n = 937, marge d'erreur de +/-3.2 %, 19 times out of 20. Question : Quels défis avez-vous rencontrés pour l’achat ou la vente de biens/services dans d’autres provinces/territoires? (Sélectionner toutes les réponses pertinentes)
[3] Source: FCEI, Sondage Votre Voix - Avril 2025, du 10 au 24 avril, 2025, résultats finaux, n = 2 044, marge d'erreur de +/-2.2 %, 19 times out of 20. Question: Dans quelle mesure chacune des solutions suivantes pour améliorer le commerce interprovincial serait-elle utile pour votre entreprise? (Sélectionner une réponse par ligne)


Francesca Basta et Milan Nguyen, « Les projets d'infrastructure d'intérêt national : les enjeux pour les petites entreprises », FCEI, Blogue Perspective PME, 4 septembre 2025, https://www.cfib-fcei.ca/fr/rapports-de-recherche/les-projets-dinfrastructure-dinteret-national.
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